Le Roi Salomon touché par la grâce
© Pascal Gely
« On ne comprendra absolument jamais rien à mon oeuvre si l’on ne comprend pas que ce sont d’abord des livres d’amour. » Ainsi parlait Romain Gary alias Emile Ajar, qui un an avant sa mort écrivait ce superbe récit sur l’amitié entre le vieux Salomon, 85 ans, et Jean, 25 ans. Le comédien Bruno Abraham-Kremer se saisit de cette prose et la magnifie avec son talent de conteur hors-pair.
L’angoisse de Romain Gary
Romain Gary, qui n’a jamais autant été célébré qu’aujourd’hui, au cinéma avec Charlotte Gainsbourg, avait prévenu ses lecteurs qu’il ne vieillirait pas. « L’Angoisse du Roi Salomon » est son dernier livre (1979) signé par son pseudo Emile Ajar. L’histoire est racontée par Jean, un chauffeur de taxi de 25 ans, gueule de voyou et malice en bandoulière, qui se fait adopter par Monsieur Salomon, immédiatement séduit par le jeune homme et qui lui fournit spontanément de quoi monter sa société. Il est comme ça, le vieux Salomon, un roi prodigue et riche, qui a décidé de faire profiter de ses largesses ceux qui en ont besoin et qui l’entourent dans cette association humanitaire que Salomon a fondée.
Un humour dévastateur

© Pascal Gely
Le texte, adapté par Bruno Abraham-Kremer et Corinne Juresco, se déguste comme un mille-feuille insensé, un récit succulent rempli d’anecdotes croustillantes, où l’on croise Cora Lamenaire, la passion torride et dévastatrice de Monsieur Salomon, une chanteuse réaliste sur le retour qui rêve de faire de Jean un star de cinéma. Allumée et un peu collabo, Cora est celle qui fricota avec la Gestapo pendant la guerre, mais qui permit aussi de planquer Monsieur Salomon dans une cave des Champs Elysées durant l’Occupation en l’abandonnant à sa solitude. Un ange cruel et totalement ambivalent. A travers ces portraits drôles et cruels, Cora, Monsieur Salomon, Jean et ses aventures amoureuses et amicales, le concierge pétainiste de l’immeuble, Gary peint avant tout l’humain sans fard, avec sa petitesse et son orgueil, ses imperfections et son courage. Et on rit.
Bruno Abraham-Kremer conteur magnifique
Acteur au métier accompli, à la voix suave et au corps élastique, le comédien tout terrain se love dans le costume de Jean, 25 ans, avec une aisance jubilatoire de titi parisien. Mais il est aussi le vieux Salomon, coquet comme un jeune coq, qui se pare d’une fleur à la boutonnière par « respect pour les autres », Cora qui se prend pour Edith Piaf et qui minaude comme une adolescente… Gilet de flanelle et veste de cuir, il nous embarque sur la rive de toutes ces histoires dans un décor astucieux et ouvert, labyrinthe fictif à la Perec, avec une formidable bande son et des projections vidéos de Paris. On pourrait l’écouter toute la nuit, c’est un frère de Gary, d’Ajar et de Cohen, qui rend grands les gens ordinaires, innocentes les grosses bêtises, en vivifiant notre part d’enfance. C’est un peu pourquoi nous aimons tant le théâtre.
Hélène Kuttner
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